Quand on parle d'aérodynamique auto, on pense d'abord à la traînée. Normal, c'est la force qui freine. Mais il y a une autre actrice discrète qui décide de la tenue de route à haute vitesse : la portance. Un mot qui vient de l'aviation, certes, mais qui gouverne tout autant le comportement d'une voiture. Et selon son signe, elle peut soulager les pneus, améliorer la pointe… ou au contraire coller l'auto à la route.
La portance est la force verticale générée par l'écoulement de l'air autour de la carrosserie et du soubassement. Elle vient d'une différence de pression entre le dessus et le dessous de la voiture. Si la force est orientée vers le haut, on parle de portance positive. Si elle est orientée vers le bas, on parlera de portance négative, autrement dit d'appui.
La portance agit partout: sur l’adhérence, la stabilité et la vitesse de pointe. En positif (Cz > 0), elle allège la voiture et réduit la charge verticale sur les pneus, donc l’adhérence potentielle (μ·N) diminue: la direction devient flottante à haute vitesse, les freinages se rallongent et l’auto se déstabilise sur bosses ou en vent latéral. En négatif (portance négative = appui), elle augmente N, donc le grip: freinages plus courts, vitesse de passage en courbe plus élevée, motricité qui progresse. L’envers du décor, c’est la traînée: plus d’appui s’accompagne presque toujours d’un Cx en hausse, donc d’une force D = ½ ρ V2 S Cx plus grande, ce qui limite la vitesse de pointe et accroît la conso. Tout est donc compromis: assez d’appui pour tenir la voiture, pas trop pour ne pas brider la pointe. La Formule 1 illustre parfaitement ce jeu d’équilibriste avec le DRS: sur les lignes droites autorisées, l’aileron arrière ouvre son volet et s’approche d’une position quasi horizontale, ce qui réduit l’angle effectif, abaisse |Cz| et Cx, et libère quelques km/h en pointe, comme un 'boost' temporaire. Dès qu’on referme le volet avant un virage, l’appui revient, la voiture se recolle au sol et retrouve sa marge de grip. Cette logique vaut pour toutes les autos: on gagne du temps au tour en courbe avec l’appui, on gagne de la vitesse de pointe en le relâchant sur les portions rapides; l’aérodynamique décide où placer le curseur.
Portance positive : la voiture se "légerise", la charge verticale sur les pneus diminue. Sur autoroute rapide ou en freinage appuyé, c'est tout ce qu'on veut éviter.
Portance négative : on parle d'appui. Par convention simple : Fappui = - Fportance. Même chose pour les coefficients : Cappui = - Cz. Plus l'appui est élevé, plus l'adhérence potentielle augmente… mais la traînée grimpe aussi. Il faut donc doser.
Deux façons de l'expliquer, qui se complètent :
Pressions (Bernoulli) : là où l'air accélère, la pression statique baisse. Accélérer l'air sous la voiture (plancher plat, Venturi, diffuseur) crée une dépression qui aspire le châssis vers le sol.
Quantité de mouvement (déviation de flux) : un aileron ou un becquet dévie le flux d'air vers le haut ; en réaction, il reçoit une force vers le bas. C'est l'appui.
Augmenter l'appui coûte de la traînée. Sur une aile isolée, on retrouve l'idée que la traînée induite croît grossièrement avec le carré de la portance :
Relation type aile (indicative) : CDi ≈ CL2 / (π e AR)
En voiture, l'écoulement est plus sale (roues, caisse, proximité du sol), donc on ne peut pas appliquer ça au pied de la lettre. Mais l'intuition reste bonne : plus d'appui = plus de traînée. L'art consiste à générer des Pascals de pression utile là où ils servent le châssis, en limitant les dégâts côté Cx.
On décompose classiquement la portance en deux contributions : Cz,av et Cz,ar, avec Cz,total = Cz,av + Cz,ar. L'équilibre d'appui est aussi important que la valeur totale. Trop d'appui arrière et l'auto sous-vire ; trop d'appui avant et l'arrière devient nerveux. Le splitter, le plancher et le diffuseur travaillent avec l'aileron pour tenir un ratio d'appui cohérent avec la géométrie du châssis.
Le sous-bassement est un aéro précieux : proche du sol, la vitesse locale augmente, la pression baisse, et l'appui grimpe. Mais c'est sensibilisé à la hauteur de caisse et à l'assiette (rake) : si tu t'approches trop, tu risques l'étouffement (stall) du diffuseur ; si tu t'éloignes, tu perds l'effet Venturi. Les autos rapides sont donc réglées pour que l'aéro utile se maintienne malgré le tangage et le roulis.
L'écoulement réel n'est jamais parfaitement aligné. En lacet (yaw) et en vent de travers, on génère une force latérale aéro (coefficient Cy) et un moment de lacet aéro (Cn). Un bon design doit rester auto-stabilisant : que le moment aéro aide la voiture à se recentrer plutôt que de l'ouvrir vers l'extérieur du virage.
Splitter / lame : augmente la pression au-dessus et accélère dessous ; stabilise l'avant.
Plancher plat + diffuseur : cœur de l'appui propre ; accélère l'air sous la caisse, puis le détend dans le diffuseur en évitant le décollement.
Aileron : génère de l'appui direct, sensible à l'angle d'incidence ; petit Gurney flap en bord de fuite pour gagner du Cz sans tout reprofiler.
Becquet (spoiler) : casse le vortex de poupe, réduit la portance et peut légèrement baisser la traînée en nettoyant le sillage.
Dérives / canards / générateurs de vortex : conditionnent la couche limite, nourrissent le diffuseur, repoussent le décollement.
Quand on parle de 'kg d'appui', on parle en réalité d’une force exprimée comme un poids équivalent: F/g. En Formule 1, l’ordre de grandeur est parlant: dès ~150 km/h, la voiture génère déjà une force vers le bas équivalente à son propre poids, et à la fin d’une longue ligne droite on atteint typiquement 3 à 4 fois ce poids. Autrement dit, plus de 2 tonnes d’appui instantané sur une monoplace de moins de 800 kg, ce qui explique ces vitesses de passage en courbe 'irréelles'.
Ce qu’il faut retenir: l’appui grimpe avec V2 (au carré). À mesure que la vitesse augmente, chaque 'kg d’appui' supplémentaire colle la voiture au sol, mais coûte aussi en traînée. D’où les systèmes de réduction de traînée type DRS en F1 (et désormais sur certaines routières comme la GT3 RS) qui mettent l’aileron presque à plat quelques secondes: on perd de l’appui pour gagner de la vitesse de pointe, puis on referme l’élément avant le freinage pour récupérer la charge verticale et le grip.
Formule générale : F = ½ ρ V2 S Cz
Où :
• F est la force de portance (N),
• ρ la densité de l'air (~1,2 kg/m3 au niveau de la mer),
• V la vitesse (m/s),
• S la surface de référence,
• Cz le coefficient de portance (positif vers le haut, négatif vers le bas).
Beaucoup de sources écrivent CL (lift). En automobile, on utilise souvent Cz pour la verticale : c'est la même logique, change seulement la lettre.
On garde des nombres ronds pour l'intuition. Air à 1,2 kg/m3, surface de référence S = 2,2 m2, Cz = -0,30 (appui), vitesse V = 70 m/s (~252 km/h).
q = ½ ρ V2 = 0,5 × 1,2 × 702 ≈ 2 940 Pa
F = q S Cz = 2 940 × 2,2 × (−0,30) ≈ −1 940 N
En langage piste, ça fait environ 200 kg d'appui. Et comme tout varie avec V2, passer de 200 à 250 km/h multiplie l'appui par (250/200)2 = 1,5625. D'où l'importance d'une auto neutre à haute vitesse : les équilibres changent vite.
En mise au point, on corrige par touches : hauteur de caisse, angle d'aileron, lèvres de diffuseur, petites dérives pour alimenter les zones sensibles. Une modification qui gagne 10 points de Cz à l'arrière peut imposer 5 points de plus à l'avant pour garder la même répartition. Et chaque point d'appui doit être justifié par son coût en Cx.
• Mettre un gros aileron sans soigner le sous-bassement : beaucoup de traînée pour un gain d'appui limité.
• Déséquilibrer l'avant et l'arrière : l'auto devient soit paresseuse (trop d'arrière), soit nerveuse (trop d'avant).
• Ignorer l'assiette : une valeur d'appui séduisante en soufflerie peut s'effondrer dès que la voiture freine ou prend un vibreur.
• Confondre becquet et aileron : un spoiler bien placé suffit parfois à réduire la portance sans pénaliser le Cx.
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