Dernière modification 21/10/2017

Pourquoi les marques Françaises échouent dans le luxe/premium ?


Ce sujet a été abordé à maintes reprises dans les médias papiers et télévisuels, cependant je voulais y revenir afin d'essayer de décortiquer ce phénomène. Pourquoi donc les Français ont-ils tant de difficultés à  vendre des voitures haut de gamme ? Un comble pour un pays ayant autant de marques de luxe non ?


Voici donc, selon mon modeste point de vue, les principales causes.

Technicité

Quand on parle de luxe il faut oublier tout compromis, le produit développé doit être quasiment irréprochable, sans approximation, tout en sachant que la clientèle est exigeante et pas dénuée de toute connaissance technique ...

En observant le haut de gamme français on arrive vite à percevoir les limites techniques qui impactent l'image luxueuse. Exemple avec la DS5 qui reste une simple traction à moteur transversal (oublions l'Hybrid4 malgré ses petits moteurs aux roues arrière) proposant soit une boîte BMP6 digne d'une auto bas de gamme ou alors d'une version plus convaincante (convertisseur de couple) mais avec 6 rapports seulement quand les Allemands en sont à 7 ou 8 (et même 9 maintenant). De plus, son instrumentation multimédia et en l'occurrence son GPS ne sont pas au goût du jour. Ensuite, aucun 6 cylindres n'est proposé et encore moins une suspension pneumatique alors que Citroën est l'inventeur ... Pas génial.
Pire, une BX des années 80 en offrait plus avec une suspension hydropneumatique et une (vraie) transmission 4X4 en option ! Qu'a-t-on fait faire aux ingénieurs depuis tout ce temps ? Pourquoi se tirer autant vers la bas pendant que les Allemands se perfectionnent ?
Sur cet aspect, la Citroën C6 était au passage bien plus consistante que les DS actuelles avec son V6 HDI et sa suspension Hydractive.


A chaque échec de plus, c'est toute les marques françaises qui sont impactées ... La C6 n'est qu'un numéro de plus à une liste qui s'est allongée ces dernières années.

Les Allemands (sans vouloir les mettre en valeur à tout prix, je n'ai pas d'attache particulière) proposent tout ce que la clientèle aisée est en droit de réclamer : des boîtes à la pointe, du multimédia intégré à la page, une architecture noble (longitudinale) des transmissions aux roues arrière  (sauf Audi qui se traîne avec des tractions à cause de la plateforme MLB ..) ou encore 4 roues motrices sur une grande majorité des modèles, du multibras à l'avant et à l'arrière, des présentations intérieures dans l'air du temps et bien finies, des systèmes d'aide à la conduite ultra développés (phares intelligents, conduite automatique à basse vitesse, suspensions intelligentes couplées au GPS etc ...). Bref, on a un petit train de retard.


Voici une base des plus nobles. On aperçoit en effet un moteur placé dans la longueur (parfait pour intégrer de gros blocs et boîtes tout en gardant une bonne motricité). Cerise sur le gâteau, on peut aussi entrevoir un moteur en V, d'où la double sortie d'échappement (un échappement par ligne). Sur les Françaises, ce genre d'architecture n'existe plus depuis des lustres (j'ai beau chercher je ne trouve pas) tandis que c'est la base de toutes les Allemandes premium (à partir des berlines, les compactes et dérivées sont à moteur transversal).

Prenons par exemple le "summum" français, la DS7 Crossback. Cette dernière s'appuie sur un châssis (EMP2) très classique : moteur transversal (très populaire donc ...) associé à des moteurs 4 cylindres. La suspension n'est que pilotée quand les concurrents passent tous au pneumatique (GLC, Q5 II etc.). La boîte sauve toutefois les meubles avec ses 8 rapports (EAT8) mais on a failli être en EAT6 !

Image en berne

L'image dégagée par une voiture est primordiale pour son succès commercial, le design fait d'ailleurs parti des tout premier critères d'achats, avant même les aspects pratiques (quelque soit le niveau de gamme) ... Imaginez-donc un peu l'importance de ce critère sur la marché du premium ! En effet, acheter une voiture de luxe c'est aussi (en général) vouloir montrer aux autres une certaine réussite. Hélas, les Françaises sont depuis trop longtemps sur le segment des généralistes pour inspirer une réelle idée de luxe (l'échec des C6 et autres berlines françaises a aussi donné un mauvaise image à la clientèle premium qui est alors plus méfiante vis à vis du premium tricolore). Et comme les Allemands sont nombreux et bien placés depuis un bon bout de temps, le choix ne manque déjà pas à la base (en gros il y a déjà très peu de place pour de nouvelles concurrentes). Par dessus cela vous ajoutez le fait que les modèles proposés par le trio allemand sont particulièrement aboutis. Résultat, ce marché est extrêmement difficile à conquérir et tout amateurisme est immédiatement sanctionné par des ventes en berne ...

Prenons encore comme exemple la DS7 Crossback. Cette dernière s'appuie sur un châssis mainte et mainte fois partagé (EMP2) avec des autos milieu de gamme. Rien qu'à ce niveau, beaucoup ne seront pas convaincus en ayant l'impression d'acheter du milieu de gamme maquillé en haut de gamme, ce qui est finalement un peu le cas ...


C'est en faisant ce genre d'auto qu'on fait chavirer le coeur des plus fortunés. Pas nécessairement besoin de trop "gesticuler", il faut juste faire un très bon produit ....

Une Classe C (ou A4 et Série 3) propose par exemple une structure et un châssis qui n'ont rien en commun avec le milieu de gamme. Même une Série 1 de BMW est plus noble techniquement parlant qu'une C6 (ou même une DS7 donc). Ce qui n'est en revanche pas le cas d'une Classe A / CLA / GLA qui se rapprochent bien plus des voitures bas et milieu de gamme (Idem pour A3). Bref, à un certain stade (autos de plus de 40 000 euros), il faut utiliser les codes du luxe même si il existe quelques rares exceptions (Volvo S90, XC60 et XC90).

Pour maximiser vos chances de réussite il faut aussi trouver un moyen de bluffer la clientèle premium, en impressionnant coute que coute ! Prenons exemple sur les Allemands qui réussissent particulièrement cet exercice (les SLS et SLR étaient avant tout là pour faire vendre de la Classe C ! Il faut véhiculer une image de prestige et rendre la marque intimidante). Citroën avait d'ailleurs frappé un grand coup dans les années 2000 avec un concept qui impressionnait même les Ferraristes : la Citroën GT. Là on peut dire que la marque a réussi son coup en allant même jusqu'à se frotter aux supercars sans avoir le moindre complexe tellement la réussite (esthétique et mécanique) était grandiose. Le partenariat avec Sony (Gran Turismo) achevait le travail.


Citroën tenait le bon bout avec la GT, son image a pu alors se crédibiliser dans les plus hautes sphères du luxe, celle des super- et hyper-cars (elle aurait pu être ratée mais ce ne fut pas la cas ici, bien au contraire). Désormais Citroën est la marque bon marché du groupe PSA et Peugeot la marque généraliste premium (stratégie basée sur celle de Volkswagen). Triste époque pour les chevrons qui méritaient largement mieux !


Le groupe Hyundai / Kia est un exemple à suivre ! La Stinger peut même impressionner la branche MotorSport de BMW avec son architecture noble et ses aptitudes routières de très haute volée. N'oublions pas non plus la création de la marque Genesis. Bref, au lieu de faire des voitures au styles décalés on devrait plutôt faire des voitures qui séduisent (sur le plan esthétique mais aussi technique !)

Trop d'excentricités démode vite ...



La Française se lâche peut-être un peu trop face à la rigueur du design germanique (qui fonctionne dans le monde entier). Et encore, la Série 5 choisie en exemple pour la comparaison était considérée comme une tentative osée de BMW en terme de style. Ca reste malgré tout bien plus sage qu'avec le Renault, ce qui a permis au passage à la BMW de mieux vieillir.


J'ai donc repris la Série 5 E60 (et non G30) pour mieux coller à la génération de la Vel Satis.



Malgré 20 ans qui les séparent (j'aurais même pu remonter encore en arrière), ces deux Série 7 ont le même air de famille. Quand on trouve une recette qui marche il faut la garder et ne pas tout recommencer à chaque nouvelle génération, cela permet aussi de combler les clients qui ont alors plus l'impression d'acheter un produit durable qui se démodera moins et qui se vendra mieux (quand on paie une fortune dans une auto c'est la moindre des choses). Chez DS, on a trouvé un style puis on a tout bouleversé en revoyant toutes les calandres (et puis le dernier DS7 ne fait plus trop penser aux DS3, DS4 et DS5). Ce procédé n'est pas positif car il laisse penser que le modèle précédent était un ratage. Logique, quand on revoit tout de A à Z c'est donc bien que tout était mauvais non ? Bref, en achetant du premium français on est quasi assuré d'être démodé 5 ans après grand maximum (l'Espace V est aussi un bon exemple ...)



Que dire de l'Avantime qui mélange un style très excentrique à un concept totalement fou : un monospace trois portes ...

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais quand nous les Français cherchons à faire du haut de gamme, on développe des autos très très particulières ...

  • Vel Satis : Renault croyait réinventer le marché des berlines haut de gamme. Il n'a en fait proposé qu'une sorte de mutant moyennement apprécié de la "haute"
  • Espace V : on croirait une auto dessinée par Louis XIV en personne ... Un peu trop chromée et en forme de calèche, le style porte franchement à la controverse ...
  • C6 : en voulant renouer avec le passé glorieux de Citroën, elle n'a fait que reprendre des lignes largement dépassées, voire même devenues disgracieuses à notre époque. Si une certaine clientèle plus âgée y a pris du plaisir (et ça se comprend), la jeunesse a eu en revanche un peu de mal à en être véritablement fière...
  • DS5 : certes loin d'être moche, avouez que cette DS6 reste un OVNI, ou plutôt un ORNI. Si la marque semble jouer la carte de la tendance et du décalage, j'ai bien peur que cela ne s'estompe très vite ! Le risque que cette dernière soit démodée dans quelques années est plus probable que pour une Série 5 F10 bien plus conservatrice.
  • DS7 : du chrome excessif, des optiques un peu trop bling bling (que ce soit à l'avant ou à l'arrière), un intérieur très spécial, des compteurs trop décalés esthétiquement parlant etc. Bref, on en fait trop tout simplement

Bref, quand on observe les marques de luxe qui cartonnent dans le monde, on s'aperçoit que le qualificatif  "classicisme" est une variable clé du succès. La clientèle aisée n'aime généralement pas trop l'excentricité (ou alors elle va chez Porsche ou Ferrari), un mot qui rime rarement avec "classe".


On ne peut pas dire que Citroën se soit complètement calmé avec la DS7 ...


L'Espace V de Renault est aussi du genre à être un peu "foufou" dans sa tête : du chrome partout, un mélange entre monospace et SUV et des éléments de style très étranges. Bref, trop décalé pour pouvoir tenir la durée niveau style (se démodera vite)

A contrario : prise de risque minimale sur le plan technique

A vouloir éviter un éventuel fiasco commercial (et cela peut se comprendre), les Français cherchent donc à limiter au maximum la prise de risque financière, ce qui est finalement paradoxal vis à vis du style des autos vendus (qui lui prend donc de gros risques !).
Pour cela, ils utilisent donc des plateformes déjà existantes pour faire du luxe. Je vais encore une fois reprendre l'exemple de Citroën qui est en ce moment celle qui cherche le plus à développer son image luxueuse par le biais de la gamme DS.
Les DS3, DS4, DS5 et DS7 reposent sur des plateformes de voitures de gamme inférieures, ce qui empêche l'intégration de certains équipements (ex : suspension Hydractive inexistante sur DS5/DS7) et d'un changement d'architecture (pas de propulsion). De ce fait, les hauts de gamme français sont "nativement pauvres" pour proposer une conception de type supérieure comme le font BMW, Mercedes et Audi. Les choses changent cependant un peu avec des autos bien moins nobles qui ont des plateformes à moteur transversal comme la MQB pour Audi (la MLB est quant à elle prévue pour les vraies haut de gamme Audi), la MFA de Mercedes (la MRA étant un peu la MLB d'Audi). En gros, les marques de luxe allemandes commencent à attaquer le segment inférieur (Classe A, Série Active Tourer, Classe B, Audi A1 etc ...).

De plus, question moteur, ils ne cherchent même plus à faire du 6 cylindres. Certes les nouvelles normes environnementales réduisent énormément l'attractivité de ces derniers (malus écologique) et donc le potentiel des ventes, mais il reste utopique de vouloir faire du haut de gamme sans pouvoir séduire une clientèle haut de gamme justement ... Et puis même si cela représenterait 5% des ventes, l'image de marque aurait en revanche été bien plus valorisée (La R8 d'Audi n'est pas vraiment là pour faire du profit, mais bel et bien pour valoriser la marque aux anneaux, tout comme la LFA de Lexus qui va même jusqu'à se vendre à perte). Comment Citroën a pu proposer sa DS5 sans suspension hydropneumatique (une des rares technologies qui a permis à Citroën de se valoriser fortement, l'innovation technologique de la DS originelle) ? L'explication est que la plateforme utilisée ne serait pas adaptée à cette dernière. Et bien qu'ils trouvent une parade, qu'ils utilisent une autre plateforme, quitte à accroître le coût de revient. Il est impératif de proposer le meilleur, et surtout de valoriser le produit.
Mais tout cela a un coût, ce qui accroît le potentiel des pertes face à un échec commercial. C'est d'ailleurs typiquement français, nous sommes parmi les plus frileux quelque soit le domaine. Par exemple, un jeune qui cherche des financements pour un projet atypique chez nous pourra toujours espérer, alors qu'aux USA il en obtiendra un. Et même si la majorité de ceux-ci échoue, ceux qui remporteront le succès rembourseront largement les pertes des autres échecs. Les Américains n'en sont pas là par hasard, ils ont le goût du risque, risque qui mène aux grandes gloires comme le sont Google, Apple, tesla, Facebook etc ... Les exemples sont si nombreux !
Quant à nous, tout ce qui sort de l'ordinaire ou qui trop d'ambition passe à la trappe. Ne sommes-nous bons qu'à faire des voitures populaires à barre de torsion ? La France a déjà prouvé que non avec le Concorde et le TGV, mais cela commence à dater ...

Comment faire alors ?

Bien évidemment ce n'est pas moi qui vais trouver seul la solution à des marques automobiles qui ont certainement bien plus réfléchi au problème que moi (et dont le personnel doit certainement me surclasser de loin). Toutefois, je pense que la solution ressemblerait à ce que fait Peugeot actuellement avec ses autos de moyenne gamme. La 308 II (qui n'est pas du segment premium je vous l'accorde) est l'exemple parfait, tout comme le 3008 II qui fait un carton. Ayant envie d'en faire un succès international, la marque a arrêté de jouer au petit chimiste et applique désormais des règles qui garantissent le succès. Ils ont dessiné une voiture qui plaira au plus grand nombre sans tomber dans l'ennuyeux, exactement ce que fait une Golf. Pour le luxe c'est pareil, il faut prendre le risque de développer des voitures haut de gamme dont le résultat sera si étonnant que les ventes suivront malgré une image haut de gamme déficitaire. Il faut ensuite avoir les reins solides et tenir la durée jusqu'à ce que l'image premium finisse par s'installer dans l'inconscient collectif.
On peut prendre en exemple Audi. Avant les années 90, la marque avait une réputation très correcte mais on était loin de l'image d'aujourd'hui. BMW et Mercedes étaient bien au dessus ! Aujourd'hui, Audi se fond dans le trio avec une image aussi bonne que les deux autres. Pour cela, la marque n'a pas forcément tout joué sur le marketing ou l'originalité, ils ont tout simplement fait des produits de grande qualité digne du grand luxe automobile.
L'arrivée de l'A4 B5, de l'A6 C4 et de l'A8 D2 a totalement bouleversé l'image de la marque. Les voitures étaient ultra séduisantes sans faire dans l'extravagant, la qualité perçue était irréprochable et la technique dans l'air du temps (moteurs diesels modernes, Quattro, ordinateur de bord etc ...).
Donc en gros, pour se coller une bonne image de marque, il suffit de développer des voitures quasi parfaites dont la presse fera l'éloge. Ensuite les choses suivront d'elles-mêmes. Hélas, il faut cependant prendre un risque financier en investissant plus, ce qui n'est pas vraiment dans la philosophie française qui a tendance à voir toujours petit ...


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