
Il suffit qu’un constructeur évoque un moteur thermique pour que certains s’illuminent comme devant une relique sacrée. L’annonce du brevet d’un moteur W18 signé Porsche a provoqué exactement ce réflexe : des commentaires exaltés, des forums en ébullition et des vidéos enthousiastes vantant le « grand retour de la vraie mécanique ». Pourtant, avant de s’emballer, il faut rappeler une évidence : un brevet n’est pas un projet industriel. C’est une protection intellectuelle, pas une promesse. Porsche a simplement déposé un concept pour verrouiller une idée. Rien ne dit qu’elle verra le jour, et encore moins sous une carrosserie.
Ce genre d’annonce nourrit surtout un fantasme : celui du moteur d’exception qui ferait revivre l’âge d’or de la combustion. En réalité, quand on décortique le contenu technique, on comprend vite qu’il s’agit surtout d’un coup d’éclat marketing.

Le brevet décrit un moteur en « W » véritable, composé de trois bancs de six cylindres disposés autour d’un vilebrequin unique. L’angle entre les bancs est d’environ 60 degrés, choisi pour combiner équilibre mécanique et encombrement réduit. Cette configuration n’a rien à voir avec les W12 ou W16 connus : ici, chaque rangée est autonome, mais tout converge vers un même axe de rotation.
L’un des points forts revendiqués par Porsche est la compacité. En multipliant les bancs courts plutôt qu’un long V16, le bloc serait plus ramassé, donc plus facile à loger dans un châssis. Le brevet mentionne aussi la modularité du concept : il serait possible de dériver du même principe des versions à 9 ou 15 cylindres en supprimant des unités par banc, ce qui permettrait d’adapter la base à plusieurs modèles ou gammes.
Sur le plan de la circulation des gaz, Porsche mise sur une admission d’air positionnée au-dessus de chaque banc, favorisant un flux droit pour limiter les pertes de charge, et un échappement placé entre ou sous les bancs, censé éviter que la chaleur ne vienne perturber l’air frais entrant. Le constructeur va jusqu’à envisager un turbocompresseur par banc (ce qui est classique finalement, chaque ligne a son turbo comme sur les moteurs en V par exemple), donnant naissance à un hypothétique moteur tri-turbo W18, ce qui, avouons-le, a tendance à vite exciter les touristes (en réalité, quand on a 18 cylindres plus besoin de turbo, même en atmo ça déménage dès les plus bas tours).
Mais tout cela reste abstrait : aucune donnée chiffrée n’apparaît dans le brevet. Ni la cylindrée, ni la puissance, ni le couple, ni même le régime maximal. On est face à une esquisse technique, pas à un moteur prêt à rugir.

Porsche présente son W18 comme un moyen de réduire les pertes de charge et d’améliorer le rendement volumétrique sans augmenter la cylindrée. Le positionnement de l’admission et de l’échappement aurait été pensé pour offrir un flux d’air plus direct, donc plus efficace. Sur le papier, c’est séduisant. En pratique, c’est du vernis technique.
Concevoir une architecture entière autour d’un flux d’air mieux canalisé relève de la déraison : il suffit d’utiliser des échangeurs thermiques performants pour maîtriser la température de l’air. Personne ne décide de fabriquer un moteur à 18 cylindres pour une question d’admission plus froide. C’est comme construire un gratte-ciel pour éviter un courant d’air dans le hall d’entrée.
Porsche vante aussi la compacité du bloc, effectivement plus court qu’un V16 ou qu’un W16, mais cela n’efface pas les contraintes immenses : trois bancs à équilibrer, un vilebrequin d’une complexité rare, une gestion thermique cauchemardesque et des coûts de production qui frôleraient l’indécence.
Même la Formule 1, vitrine de la performance extrême, a réduit le nombre de cylindres pour améliorer le rendement. Revenir à 18 pistons, c’est aller à contresens de toute la logique énergétique moderne. Une démonstration d’ingénierie, oui. Une solution d’avenir, non.

À cylindrée égale, un moteur avec davantage de cylindres développe plus de puissance. En fractionnant les 3.0 litres d’un moteur en 18 petits cylindres au lieu de 4 gros, on réduit la masse de chaque piston, on accélère les cycles de combustion et on améliore la respiration du moteur. Cela lui permet de tourner plus vite et plus fort. Plus de cylindres signifie plus d’explosions par tour, donc plus d’énergie disponible à chaque instant. La puissance grimpe mécaniquement avec le régime, sans qu’il soit nécessaire d’augmenter la cylindrée.
C’est ce principe qui a longtemps guidé la Formule 1, notamment à l’époque des V10 et V12. Les moteurs à petits cylindres unitaires pouvaient dépasser les 18 000 tr/min avec une stabilité remarquable, offrant une puissance phénoménale à partir d’une cylindrée pourtant modeste. Le W18 suit cette même logique : diviser pour mieux respirer, accélérer, et produire davantage de chevaux.
Ce type d’architecture apporte une souplesse et une continuité de fonctionnement exceptionnelles. Le moteur délivre sa puissance sans rupture, sans vibration perceptible, avec une montée en régime instantanée.
Mais l’inconvénient est majeur : plus il y a de pièces mobiles, plus les frottements augmentent. Les pertes mécaniques deviennent importantes, la consommation grimpe, et la gestion thermique devient complexe. À cylindrée égale, un moteur à 18 cylindres produit plus de puissance, mais au prix d’un rendement énergétique plus faible et d’une architecture beaucoup plus lourde.
En résumé, multiplier les cylindres décuple la puissance et la finesse mécanique, mais sacrifie le rendement. C’est la signature des moteurs d’exception : spectaculaires, brillants, et totalement déraisonnables.

Le brevet laisse aussi planer l’idée d’une application ultra-premium, voire d’une hypercar. Porsche pourrait, dans le meilleur des cas, utiliser ce moteur pour un modèle exclusif, un prototype vitrine où le coût et l’efficacité énergétique passent au second plan. Une démonstration de puissance, réservée à une poignée de clients et aux salons internationaux.
Mais l’hypothèse la plus réaliste reste ailleurs : le coup médiatique. Déposer un brevet spectaculaire, puis laisser les médias s’emballer, coûte infiniment moins cher qu’une campagne publicitaire planétaire. Le résultat est immédiat : des articles enthousiastes, des débats passionnés, et une image redorée de constructeur visionnaire.
Le hasard fait bien les choses : au moment même où l’affaire du W18 explose sur les sites spécialisés, le cours de Porsche grimpe en bourse. Difficile de croire à une coïncidence. L’idée d’un moteur tri-turbo à 18 cylindres suffit à rallumer la flamme des investisseurs nostalgiques. L’effet d’annonce fonctionne mieux qu’un communiqué sur une mise à jour logicielle de recharge.
Ce W18 s’ajoute à une série de signaux contradictoires envoyés par Porsche. Il y a peu, la marque avait dévoilé un prototype de moteur à six temps, un concept marginal censé accroître le rendement en ajoutant une phase de détente supplémentaire. L’idée n’a jamais dépassé le stade du prototype, mais elle a rempli sa fonction : faire parler d’elle.
Porsche communique aussi largement sur ses carburants de synthèse produits au Chili, une alternative censée prolonger la vie du thermique en version « neutre en carbone ». Et dans le même temps, elle investit massivement dans l’électrique, avec la Taycan déjà sur route et le Macan EV à venir.
On assiste donc à un grand écart permanent. D’un côté, la marque se veut pionnière de l’électrification ; de l’autre, elle multiplie les signaux pour rassurer les puristes. Cette ambiguïté est stratégique : elle permet de garder les deux camps dans la confidence. Les électromobilistes voient en Porsche un acteur moderne et responsable, tandis que les amoureux du thermique y trouvent encore une lueur d’espoir.
En regardant ce brevet avec un peu de recul, on comprend qu’il ne s’agit pas d’une avancée technique mais d’un outil d’image. Il suffit d’observer les réactions pour mesurer son efficacité : partout, des articles titrent sur « le retour du moteur mythique », « l’audace mécanique de Porsche » ou « la revanche du thermique ».
Pourtant, rien de tout cela n’existe. Le W18 est une idée, pas un moteur. Une fantaisie ingénierique que Porsche se réserve le droit de ne jamais produire. Les ingénieurs ont dû s’amuser à le concevoir, certes, mais il n’a aucune chance de se retrouver dans une voiture de série.
L’ironie, c’est que Porsche met en avant un moteur d’une complexité extravagante à l’heure où l’industrie s’efforce de réduire la consommation, les émissions et le nombre de pièces. Tout ce que le W18 symbolise, c’est l’opposition entre la passion mécanique et la réalité énergétique.
Ce brevet W18 ne révèle pas le futur de Porsche. Il expose sa stratégie : entretenir la légende mécanique pour ne pas perdre son public historique, tout en continuant à miser sur l’électrique pour rester dans la course.
Le moteur à six temps, les carburants de synthèse, et maintenant le W18 ne sont que des chapitres d’un même livre : celui d’un constructeur qui refuse de mourir thermiquement, tout en préparant sa survie électrique.
Sur le papier, le moteur est fascinant : compact, tri-turbo, modulaire, équilibré à 60°, tout ce qu’il faut pour impressionner un passionné. Mais dans la vraie vie, il restera sans doute ce qu’il est déjà : un symbole, un outil de communication brillant, et un rappel que même chez les plus grands, l’innovation n’est pas toujours faite pour rouler… mais parfois juste pour briller.
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