Dernière modification 28/03/2023

E-Fuel : principe, rendement et problématiques


Les fidèles du moteur thermique l'attendent comme le sauveur, le carburant synthétique E-Fuel (du méthanol plus exactement) serait censé pouvoir faire perdurer les moteurs thermiques.
En effet, ce type de carburant peut se décliner comme on le veut, avec un taux d'octane bien précis (pas besoin de modifier les moteurs existants) et la possibilité d'aller jusqu'à produire du e-diesel (ce qui est impossible avec l'éthanol, dont la molécule est pourtant très proche).
Voyons dans un premier temps le principe de ce "nouveau" type de carburant avant d'appliquer une critique constructive, et vous allez voir qu'il y a de quoi dire ...


Principe

On connaissait le mauvais rendement de la pile à combustible fonctionnant à l'hydrogène, vous allez voir que ce n'est rien à côté de l'E-Fuel de Porsche ...
Sachez tout d'abord que "l'aventure" se situe ici au Chili, là où se situe une usine de production en test. L'avantage de cette région est d'être très venteuse, ce qui permet de produire de l'électricité via des éoliennes. Voilà la première ruse qui vise à parler de carburant neutre ... En effet, si j'estime que j'ai de l'énergie électrique gratuite et infinie (surtout que les éoliennes ont coûté beaucoup en énergie à construire, sans compter leur faible durée de vie), alors tous les procédés peuvent être considérés comme vertueux et neutres pour l'environnement. C'est à la fois assez facile et grossier comme ficelle.

Etape 1 : l'eau


L'eau devenant un bien rare, il faut éviter de la tirer dans des nappes phréatiques. Dans le cas de l'usine au Chili (qui n'a pas été choisie au hasard), on utilise l'eau de mer qu'on va par la suite dessaler.
Oui, vous avez bien entendu, la première étape commence très mal puisqu'il faut traiter l'eau qu'on va utiliser. Je rappelle qu'il faut environ 15 kWh pour dessaler 1 mètre cube (m3) d'eau.

On démarre donc sur un rendement négatif de - 15 kWh, à savoir qu'on dépense de l'énergie sans ne rien avoir en retour en terme énergétique (uniquement de l'eau claire).

Etape 2 : extraction d'hydrogène


Une fois l'eau débarrassée de sa salinité nous allons extraire l'hydrogène qu'elle contient par le biais de l'électrolyse, à savoir injecter du courant dans la solution pour provoquer la dislocation des molécules d'eau, avec d'un côté l'oxygène et de l'autre l'hydrogène.
Pour 100 kWh d'électricité utilisée pour cette étape, je ne vais en récupérer que 60 à 65 en hydrogène (et même moins si on compte la perte entre la centrale électrique et l'usine de traitement, avec environ 10% de perte dans les câbles, sans compter la compression ou la liquéfaction).


Si on reprend notre mètre cube précédent, à savoir 1000 litres d'eau, je vais dépenser 5000 kWh pour obtenir 3250 kWh d'hydrogène. Toutefois, et comme il faut le comprimer pour le stocker, il faudra encore retrancher 7 à 15% pour (selon si je compresse à 350 ou 700 bars, deux normes/valeurs usuelles et courantes), mes 3250 kWh se transforment en 2990 kWh à 350 bars (on ne va pas être trop sévère en optant pour la compression la moins ambitieuse).


Avec 1000 litres d'eau j'obtiens 1 000 000 litres d'hydrogène (gazeux) à 0 degré à la pression atmosphérique (1 bar ...), c'est à dire 1000 Nm3 (unité "Normo Mètre Cube" pour les gaz : normalisé à 0 degré et 1 bar de pression).

Etape 3 : capter le CO2


Il faut cette fois capturer le CO2 présent dans l'air. Bien entendu, on est loin de l'efficience et du côté vertueux des plantes ... Ici il faut entre 200 et 1000 kWh pour prélever 1 tonne de CO2 dans l'air, on prendra donc une moyenne de 600 kWh par tonne (si vous avez un chiffre plus précis et représentatif à communiquer, n'hésitez pas à le faire en bas de page).

Il faut ici 7 fois plus de CO2 que d'hydrogène pour obtenir du méthanol. A savoir que le méthanol est composé de 88% de CO2 et 12% d'hydrogène. Le CO2 n'est donc pas pas anecdotique en terme de quantité.

Pour mes 2990 kWh extraits et comprimés à 350 bars, j'ai environ 90 kg d'hydrogène. Il me faut donc ici 7 * 90 kg de CO2, soit 630 kg de CO2. Cela donne en kWh 0.63 tonne * 600 = 378 kWh.


A mes 2990 kWh produits jusqu'à présent, il faut donc retrancher encore 378 kWh (même si ce nombre reste relativement approximatif, il n'est pas insensé). 2990 - 378  = 2612 kWh.

Etape 4 : traitement, acheminement ...

Il faudra traiter le méthanol obtenu pour le transformer en ce qu'on veut : SP95/98 ou encore diesel.
Très difficile à intégrer dans les chiffres, il faut aussi préciser que le Chili n'est pas tout près et qu'il faudra acheminer la production vers les pays consommateurs. Cela se fait par cargo, des engins extrêmement énergivores à fabriquer et utiliser (sans oublier les risques de marrées noires).

Etape 5 : rendement

S'agissant d'un moteur thermique, on est en moyenne sur 20% de rendement (car on ne conduit que très rarement sur le régime optimal du moteur ... Un moteur peut atteindre 35 à 45% de rendement selon la carburation essence ou diesel).
Sur les 2612 kWh qu'il nous reste, on va donc utiliser 522 kWh pour la force motrice, à savoir produire la force de travail nécessaire pour faire avancer l'auto.


Bilan

Avec à peine 10% de rendement sur l'ensemble de la chaîne, on peut dire qu'on est avec le carburant synthétique E-Fuel sur quelque chose de médiocre (ce chiffre, issu de mes propres calculs, est cohérent avec les 13% qu'on peut retrouver sur Wikipédia). Mais cela ne s'arrête pas là, on peut en effet ajouter quelques réflexions ...
La voiture à hydrogène (pile à combustible) n'étant déjà pas viable par rapport à l'électrique, ici c'est encore pire ...
De plus, et puisque ici tout démarre par une production électrique, pourquoi ne pas l'utiliser directement dans les voitures électriques qui ont un rendement plus favorable sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement énergétique ?

L'entêtement de l'Allemagne avec ce procédé bancale est à la fois étonnant et dévalorisant pour ce pays qui avait l'image d'une industrie de pointe. Cela semble être l'aveu et le signe d'un déclin à venir.

Thermique obsolète ?


Même si le thermique était aussi efficient que l'électrique, il serait peu probable que les conducteurs veuillent continuer de rouler en thermique en raison de son agrément bien inférieur et de ses contraintes accrues (entretien, pannes etc.). Vouloir faire perdurer le thermique à tout prix, en utilisant des procédés non viables, est un non sens absolu il me semble.

Prix ?

Avec un prix actuel de 20 à 30 euros le litre, et un espoir d'atteindre les 3 euros en 2030 (hypothétique vu l'écroulement de la valeur des monnaies, certes camouflée pour le commun des mortels ...), on ne peut pas dire non plus que l'avantage se situe du côté pécuniaire.

Usine à gaz ?

Capter le CO2 pour produire du carburant semblerait plus écologique, simple et efficace si on utilisait les plantes (qui sont des merveilles technologiques bien en avance sur les technologies humaines). Les biocarburants existent en effet déjà depuis longtemps.
Enfin, les moteurs de voitures étant aussi des sortes de petites usines miniatures complexes qui se dégradent dans le temps : dérèglement, encrassement, usure etc. Cela induit une perte de rendement que ne subit pas la voiture électrique.

Particules fines et NOx ?

Les E-carburants  n'empêchent pas la production de ces polluants devenus sensibles ... La qualité de vie dans les villes ne serait donc pas améliorée comme c'est le cas avec la voiture électrique. A cela s'ajoute aussi le bruit ambiant induit par les moteurs thermiques, bien que les essences modernes arrivent un peu à limiter la casse.

Quelques avantages ?

Ne soyons pas de mauvaise fois et mentionnons les avantages de l'E-Fuel. Tout d'abord ce type de carburant se stocke mieux que l'hydrogène ou que l'électricité. De plus, il permettrait de faire perdurer beaucoup de véhicules déjà construits, car l'écologie se trouve avant tout dans le fait d'utiliser le plus longtemps possible son véhicule. Mais dans ce cas il faudrait en accompagnement une politique qui viserait à faire rouler le plus longtemps possible les véhicules existants, avec une ambition à 20 / 25 ans minimum (les avions et trains fonctionnent très longtemps en comparaison, et beaucoup d'éléments dans les voitures peuvent durer au delà même des ces échéances).

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