Quand l'électrique redevient une thermique : scandale écologique ?

Dernière modification : 20/11/2025 -  0

On arrive à un stade assez curieux de l’histoire automobile. On a poussé toute l’industrie à abandonner le moteur thermique pour le remplacer par un moteur électrique. Ensuite, on s’est rendu compte que l'électrique ne suffisait pas dans toutes les conditions quand il était calibré trop petit en taille batterie / vitesse de charge. Résultat, certains constructeurs s’apprêtent à réintroduire le moteur thermique dans certaines voitures électriques de plus petite portée, ce qui représente potentiellement la majorité de la flotte françaises future … sauf que le moteur ne servira plus à entraîner directement les roues. Ce moteur essence tournera uniquement pour produire de l’électricité ... C'est à dire qu'on remet dans la voiture la technologie qu’on voulait éliminer, mais en la rendant incapable de faire ce qu’elle sait faire depuis 150 ans : être reliée aux roues. On supprime son rôle mécanique, on la contraint à devenir un simple groupe électrogène embarqué, et on présente ça comme une avancée. On a donc un moteur thermique qui ne peut plus tracter la voiture, une batterie qui dépend d’un moteur thermique quand elle est vide, et un système qui peut finir plus énergivore qu’une simple thermique moderne.


À ce stade, on peut parler d’une aberration issue d’un système qui s’est un peu perdu. Si l’objectif est d’avoir une voiture électrique avec un moteur thermique pour assurer la continuité du trajet, alors autant accepter l’évidence : la voiture finit par polluer autant qu’un thermique moderne dans certains usages, mais avec plus de conversions, plus de pertes et plus de complexité. On va démonter tout ça point par point.

Le cas Renault C15, l’exemple le plus révélateur

Renault, via Horse Powertrain, prépare le moteur C15, un petit bloc destiné à être intégré dans les voitures électriques. Le but n’est pas d’en faire un hybride parallèle ou série-parallèle. Non, il s’agit bien d’un prolongateur d’autonomie pur : un moteur thermique qui entraîne un générateur. Le générateur alimente la batterie et le moteur électrique. Rien d’autre.

Le C15 est annoncé capable de fournir jusqu’à 70 kW électriques. Il faut immédiatement remettre ce chiffre en perspective. Ce n’est pas la puissance continue. Ce n’est pas ce que recevra une R5. Et ce n’est certainement pas ce que ce moteur peut tenir en régime stable sans se transformer en fournaise ambulante. Les 70 kW représentent une capacité maximale ponctuelle, pensée pour couvrir des véhicules plus lourds et des usages plus larges.

Dans une citadine ou une compacte, une valeur continue cohérente tourne plutôt entre 30 et 40 kW. Et c’est exactement ce qu’on observe déjà sur les architectures similaires existantes.

Rien de neuf : BMW i3 REx, Mazda MX-30 R-EV, mêmes causes, mêmes effets

La BMW i3 prolongateur d’autonomie utilisait un petit moteur bicylindre pour fournir autour de 22 à 27 kW électriques. Ce qui suffisait à maintenir la vitesse stabilisée, mais pas à recharger réellement la batterie en roulant de façon significative.

Mazda fait la même chose avec son moteur rotatif du MX-30 R-EV. Là encore, environ 30 kW continus, avec des pics plus élevés mais impossibles à soutenir longtemps.

Renault ne fait donc que revenir à une solution déjà connue, en l’adaptant aux contraintes actuelles. La différence, c’est que cette fois, cette architecture risque de devenir courante. Parce que les constructeurs cherchent à réduire la taille des batteries, et parce que le réseau de recharge rapide n’est toujours pas à la hauteur.

Le vrai problème : les pertes en cascade

Sur le papier, faire tourner un petit moteur thermique dans sa zone optimale pour alimenter un moteur électrique, ça semble malin. En pratique, une fois qu’on déroule toute la chaîne énergétique, on comprend vite que ce n’est pas un miracle de sobriété.

La chaîne complète ressemble à ça :
carburant → moteur thermique → générateur → électronique de conversion → batterie → électronique de conversion → moteur électrique → roues.

À chaque étape, tu perds un morceau.

Un petit moteur thermique qui tourne à régime stabilisé peut atteindre environ 35% de rendement en haut de son plateau, parfois un peu plus sur un bloc très optimisé. Ensuite tu attaques le générateur, autour de 85 à 90%. L’électronique de puissance tourne vers 95%. La batterie, en charge puis en décharge, ajoute ses propres pertes (effet Joule, chimie), on est autour de 90 à 95% dans des conditions correctes. Le moteur électrique est bon élève, 90 à 95%, et la petite transmission finale dépasse souvent les 96%.

Quand on multiplie tout ça sans tricher, on arrive en gros à un rendement global de l’ordre de 22 à 25% du carburant vers les roues dans un scénario favorable, avec un maximum autour de 30% dans des conditions idéales. C’est à peu près ce qu’on obtient avec une thermique moderne qui entraîne directement les roues. La grande promesse de l’hybride série n’est donc pas une révolution énergétique, c’est juste une autre façon de perdre de l’énergie.

En hiver, la batterie se dégrade en rendement. On peut facilement tomber vers 85 à 90% d’efficacité côté batterie au lieu des 93–95% optimistes. Tu ajoutes à ça un chauffage habitacle qui tape dans l’énergie électrique disponible, et un moteur thermique qui met plus de temps à atteindre sa bonne température de fonctionnement. Le résultat est que le rendement global descend plutôt dans une fourchette proche des 18% dans les pires conditions. On cumule des petites pénalités qui, à la fin, font un gros trou. Une thermique directe n’est pas parfaite non plus en hiver, loin de là, mais elle n’empile pas autant de couches intermédiaires.

Sur autoroute : tout s'effondre ...

À 130/140 km/h, une électrique compacte consomme en gros entre 21 et 27 kWh/100 km, ce qui correspond à une puissance réelle d’environ 23 à 30 kW aux roues. En face, une thermique moderne bien étagée pour l’autoroute tourne généralement dans une zone de rendement autour de 30 à 34% à cette allure (bon régime moteur, rapport démultiplié adapté à notre législation / Vmax 130). En prenant 19 kWh/100 km d’énergie mécanique aux roues (de manière arbitraire [mais réaliste] pour comparer au thermique), on arrive à un ordre de grandeur de 6 à 7 l/100 km pour une compacte thermique analogue bien conçue.

Avec un prolongateur thermique qui alimente une chaîne électrique complète, le tableau change. En tenant compte de toutes les conversions (moteur thermique, générateur, électronique, batterie, moteur électrique), on tombe plutôt sur un rendement global carburant → roues de l’ordre de 20% en usage stabilisé. Pour la même énergie mécanique aux roues, cela mène à une consommation équivalente autour de 9,5 à 10,5 l/100 km. Pour un même gabarit et une même vitesse (19 kWh réclamés pour les 100 km), on brûle donc environ 50% de carburant en plus qu’une simple thermique bien exploitée.

On se retrouve donc avec une architecture qui, malgré son apparence moderne, n’offre pas de progrès en rendement global. On a simplement déplacé les pertes, complexifié le chemin de l’énergie, et donné l’impression que tout cela est plus propre parce que la phase finale se fait en silence (quoi que, batterie basse sur autoroute le moteur doit bien s'entendre).

On remplace donc une chaîne courte par une chaîne longue, avec le même résultat global, mais plus de complexité, plus de refroidissement, plus d’électronique, et deux énergies embarquées au lieu d’une.

Le paradoxe environnemental technique

Et c’est là que le système devient incohérent. On fait disparaître la mécanique efficace en la reliant de manière directe aux roues en la remplaçant par un système électrique alimenté par un moteur thermique qui tourne pour produire l’électricité que la voiture réclame. Si la batterie n’est pas chargée, tu roules à l’essence. Et la voiture reste définie comme électrique et vertueuse par rapport à une thermique. C’est presque drôle.


De plus, certains conducteurs risquent tout simplement de ne plus recharger systématiquement. Pas par malveillance mais par pur confort. Le plein d’essence reste plus simple que d’attendre une borne disponible à l’autre bout d’un parking. Ca veut dire que l’auto roulera plus souvent grâce à l’électricité produite à bord, donc avec une énergie 100% carbonée, parfois plus qu’une hybride e-CVT. C’est un effet pervers typique : on installe un prolongateur pour rassurer, mais on crée un comportement où l’électrique est vécue comme optionnelle. Et dans ces conditions, le bilan s'aggrave encore.

Le paradoxe environnemental à la fabrication

Il faut aussi garder en tête que ce type d’architecture n’a rien d’angélique sur le plan de la fabrication. Une électrique avec prolongateur embarque toujours une grosse batterie, souvent identique à celle de la version 100% électrique. Renault ne va pas redimensionner l’accu juste parce qu’un petit moteur thermique vient en renfort. On garde donc la batterie complète, plus le moteur essence, plus le générateur, plus l’électronique associée.

Le résultat est assez simple à comprendre : on fabrique une voiture qui demande plus de ressources qu’une thermique classique et plus de matière qu’un hybride léger. C’est une pile technologique superposée plutôt qu’un système optimisé. Le prolongateur ne remplace rien, il s’ajoute au reste. Et comme il brûle du carburant pour produire l’électricité consommée en roulage, l’intérêt écologique promis devient franchement discutable.

En résumé, ce n’est pas la solution la plus propre. C’est surtout un moyen de contourner les limites pratiques de l’électrique, pas un moyen d’améliorer son bilan global.

Pourquoi l’industrie persiste malgré tout

Si les constructeurs se tournent vers le prolongateur, ce n’est pas par conviction technologique. C’est pour sauver les meubles. Ils ont une offre technique sous la main, ils doivent la rentabiliser, et ils bricolent en urgence des solutions pour maintenir un volume de ventes suffisant sans repartir d’une feuille blanche. Le marché ne suit pas aussi vite que prévu, les clients hésitent, et les batteries coûtent toujours aussi cher. Alors on adapte ce qu’on a, on assemble des modules existants, et on crée une sorte d’électrique assistée par un moteur thermique parce que ça permet de débloquer immédiatement des ventes de masse.

L’industrie n’a pas le luxe d’attendre que le réseau de recharge soit parfait ou que les batteries deviennent miraculeusement abordables. Elle a besoin de produits vendables maintenant, avec un prix contenu et une autonomie qui ne fasse pas fuir le client. Le prolongateur sert exactement à ça : répondre vite, limiter les risques commerciaux, et éviter de laisser des segments entiers se refroidir. Ce n’est pas une vision long terme, c’est un patch technique pour tenir la route dans une période ou tout bouge trop vite.

Conclusion

Hybridifier une voiture électrique avec un moteur thermique qui n’entraîne pas les roues est un contresens technique. C’est un moyen détourné de compenser les limites de l’infrastructure et de la taille des batteries. Le rendement global reste comparable à celui d’une thermique classique, mais la chaîne énergétique devient plus complexe et parfois moins sobre (à plus haute vitesse ou dans le froid).

Pourtant, cette solution pourrait devenir courante. Renault prépare le terrain avec son module C15, et d’autres suivront probablement. On avance donc vers des voitures électriques qui roulent parfois comme des thermiques sans avoir les bénéfices directs d’une thermique. Une sorte de compromis bricolé, né d’un contexte où l’on veut tout, partout, tout le temps, sans accepter les limites physiques et énergétiques de chaque technologie.


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