

Il y a un procès permanent fait aux écrans dans les voitures. Trop de surface, trop de numérique, pas assez de boutons, pas assez de matière. Comme si l'automobile devait rester figée dans une ergonomie pensée pour des voitures qui faisaient deux fois moins de choses. Ce reproche revient souvent, mais il repose surtout sur une vision très partielle de ce qu'est devenue une voiture moderne.

Aujourd'hui, une voiture n'est plus un simple assemblage mécanique enrichi de quelques fonctions annexes. C'est un système global et centralisé complexe, piloté par logiciel, qui regroupe plusieurs dizaines de calculateurs, parfois plus de 70 sur certains modèles récents. Ces calculateurs gèrent des centaines de paramètres, depuis la gestion du moteur ou de la batterie jusqu'aux aides à la conduite, en passant par le confort, la sécurité, l'infodivertissement et la connectivité. Vouloir piloter cette complexité avec une forêt de boutons figés n'est pas réaliste. Ce n'est même plus cohérent.

L'écran n'est pas venu pour faire joli. Il est venu parce que l'interface physique classique ne suffisait plus, même si vous êtes encore nombreux à ne pas être d'accords.

On a parfois l'impression que l'écran tactile est une invention récente. En réalité, l'automobile expérimente les interfaces numériques depuis près de quarante ans, avec plus ou moins de bonheur. La toute première apparition d'un écran tactile embarqué remonte à 1986, avec la Buick Riviera destinée au marché américain. L'interface reposait sur un écran cathodique tactile, pilotant la climatisation, l'autoradio et quelques fonctions secondaires. C'était visionnaire, aujourd'hui on peut l'avouer et l'attester. Dans les faits, c'était lent, peu lisible, pas toujours fiable et clairement gadget. La technologie n'était pas prête, ni matériellement, ni ergonomiquement, ni culturellement. Mais au moins certains essaient et sont enthousiastes à le faire (sans eux on s'ennuierait ferme, même si ceux les marques qui tentent ce genre de chose sont souvent punies commercialement parlant !)

L'idée disparaîtra mais reviendra timidement à la fin des années 90, avec l'apparition de petits écrans monochromes ou couleur, souvent dédiés à la navigation ou à l'ordinateur de bord. Ces interfaces étaient tout sauf indispensables. Résolution faible, graphismes grossiers, temps de réponse lents. Elles donnaient surtout l'impression d'avoir une voiture technologique au dessus du lot (les S et Série 7 ont bien entendu emboité le pas). Avec le recul, elles ont même contribué à faire mal vieillir certains modèles. Une voiture bardée de plastique et d'écrans primitifs traverse souvent moins bien le temps qu'un intérieur sobre et intemporel. Une Citroën DS des années 60 reste par exemple plus intemporelle que certaines berlines de la fin des années 90, qui avec leurs écrans paraissent vraiment obsolètes (et surtout on aimerais le faire disparaitre).

C'est dans les années 2000 que les écrans commencent réellement à se généraliser, mais encore de manière hésitante. Ils sont souvent optionnels, parfois mal intégrés, et leur absence n'est pas vécue comme un manque. L'exemple des BMW Série 3 E90 est parlant. Deux planches de bord coexistaient. Une version sans écran, très classique, et une version avec iDrive. Avec le recul, les modèles sans écran ont souvent mieux vieilli visuellement. Le premier iDrive, malgré son ambition, était encombrant, peu intuitif et graphiquement daté dès sa sortie. L'écran existait, mais il n'était pas encore justifié (pourtant il commençait à prendre beaucoup d'espace !).

Le véritable basculement se produit au milieu des années 2010. Les écrans gagnent en taille, en définition, en réactivité et en utilité. Les interfaces deviennent enfin cohérentes, rapides, lisibles. Surtout, elles commencent à réellement se fusionner avec la voiture et son ergonomie (ce n'est plus optionnel, ça fait partie des fonctions de base de la voiture). C'est aussi à cette période qu'apparaît Apple CarPlay, qui va définitivement ancrer l'écran comme interface centrale, en l'alignant sur les usages numériques déjà intégrés dans la vie quotidienne. A partir de là, l'écran cesse d'être un gadget. Il devient structurel. Et surtout, difficilement remplaçable ...

Pendant des décennies, l'ergonomie reposait sur une logique simple mais extrêmement rigide. Une fonction correspondait à un bouton (philosophie Porsche d'ailleurs). Ce bouton était associé à une pièce physique, reliée par un faisceau, intégrée dans un tableau de bord moulé pour toute la durée de vie du modèle. Chaque choix était définitif. Une erreur d'ergonomie se payait pendant 5 ans (sauf correctif lors du restylage).
Avec l'arrivée des écrans, cette logique a basculé. Une fonction n'est plus un objet, mais une couche logicielle. Et une couche logicielle, par nature, est modulable. Elle peut être déplacée, priorisée, masquée, regroupée, simplifiée. L'écran ne crée pas de nouvelles fonctions, il permet simplement de les organiser intelligemment et de manière modulable.

C'est particulièrement visible sur les écrans d'accueil des interfaces modernes. La plupart permettent de choisir ce que l'on souhaite voir affiché en priorité. Navigation, consommation, état du véhicule, raccourcis multimédia, aides à la conduite. Chacun peut construire un écran qui correspond à son usage réel, pas à celui imaginé par un bureau d'études trois ans plus tôt.

Chez Tesla, cette logique est poussée très loin. L'utilisateur peut définir ses propres boutons de raccourcis, choisir les informations affichées, et même modifier certains aspects de l'ergonomie. L'exemple de la caméra de répétiteur lors de l'activation du clignotant est un bon exemple. La fenêtre vidéo n'est pas imposée à un endroit figé. Elle peut être déplacée sur l'écran, adaptée à la préférence du conducteur. Ce n'est pas un gadget. C'est une démonstration très concrète de ce que permet le numérique. Une interface qui s'adapte à l'utilisateur, et non l'inverse.

Ce basculement vers l'écran n'est d'ailleurs pas propre à l'automobile. Il s'aoute à un mouvement beaucoup plus large observé depuis longtemps dans d'autres domaines techniques où la complexité a explosé. L'aviation en est l'exemple le plus parlant. Dès la fin des années 80, avec des appareils comme l'Airbus A320, les cockpits ont progressivement abandonné les cadrans analogiques et les panneaux saturés d'interrupteurs au profit d'écrans multifonctions. Non par effet de mode, mais parce qu'il devenait impossible de gérer la densité d'informations autrement (mais aussi l'évolution des interfaces et focntions, impossible avec le tout physique). Les écrans ont permis d'afficher les données pertinentes au bon moment, de hiérarchiser les alertes, de contextualiser l'information selon la phase de vol. Exactement la même logique est à l'œuvre dans l'automobile moderne. Industrie lourde, machines-outils, centrales énergétiques, postes de contrôle ferroviaire ou maritime, partout où la complexité fonctionnelle dépasse un certain seuil, les boutons fixes ont fini par céder la place à des interfaces numériques reconfigurables. L'écran n'est pas choisi parce qu'il est moderne, mais parce qu'il est le seul support capable d'absorber, d'organiser et de faire évoluer un système complexe sans multiplier indéfiniment les commandes physiques. L'automobile n'échappe pas à cette règle, elle l'applique simplement plus tardivement.
C'est sans doute le point le plus important, et pourtant rarement abordé correctement. Une voiture a une durée de vie longue. Très longue. Dix, quinze, parfois vingt ans. Les usages, eux, évoluent beaucoup plus vite.
Dans une voiture ancienne, si une ergonomie est ratée, il n'y a aucune solution. Le bouton est là, mal placé, mal pensé, et il le restera. Il faut attendre un restylage, parfois une nouvelle génération, pour espérer une correction. Cela représente des cycles de cinq à huit ans.

Avec une interface à écran, le problème change complètement de nature. Une ergonomie perfectible peut être corrigée par mise à jour. Un menu peut être simplifié. Une fonction trop enfouie peut être rendue plus accessible. Un écran peut littéralement devenir meilleur avec le temps. C'est une rupture totale dans la manière dont une voiture vieillit.
On oublie souvent que beaucoup de défauts reprochés aux écrans ne sont pas liés au tactile lui-même, mais à des choix logiciels discutables. Et un mauvais choix logiciel, contrairement à un mauvais bouton, n'est pas irréversible.
L'écran central n'est pas superflu en soi. Il permet d'intégrer des outils qui seraient tout simplement impossibles ou peu pertinents avec des boutons physiques. Le premier exemple évident est la cartographie grand format. Une carte XXL, lisible, fluide, capable d'afficher trafic, incidents, déviations, points d'intérêt et informations contextuelles, apporte un vrai confort. Ce type d'affichage améliore la compréhension de l'environnement et réduit, paradoxalement, certains allers-retours visuels par rapport à de petits écrans ou des systèmes anciens.
L'écran permet aussi une consultation confortable de contenus en ligne à l'arrêt. Navigation sur Internet, lecture d'articles, accès à des services web ou à des plateformes diverses, sans passer par un téléphone tenu à bout de bras. L'ergonomie d'un grand écran fixe, bien positionné, est objectivement plus adaptée que celle d'un smartphone pour ce type d'usage.

Il ouvre également la porte au visionnage de vidéos dans de bonnes conditions. Films, séries ou contenus courts deviennent accessibles pendant les phases d'immobilisation, recharge ou attente. Là encore, l'intérêt ne tient pas au gadget, mais au fait que l'écran remplace plusieurs appareils externes et évite de multiplier les supports, câbles et manipulations approximatives.

L'écran central sert aussi de plateforme logicielle évolutive. Mises à jour à distance, ajout de nouvelles fonctions, amélioration de l'interface, corrections de bugs. Cette capacité d'évolution est difficilement compatible avec une interface purement physique figée. Sur ce point, l'écran apporte une souplesse réelle, qui peut prolonger la pertinence du véhicule dans le temps.

Il permet enfin d'afficher des outils d'analyse et de visualisation avancés. Cartes énergétiques, historiques d'usage, données de trajet détaillées, visualisation du fonctionnement des systèmes ou aides à la compréhension du véhicule. Ce sont des informations complexes, difficiles à restituer autrement que par un affichage graphique riche.

L'écran a toute sa place lorsqu'il sert de support d'information, de visualisation et de services, notamment à l'arrêt ou pour des usages non critiques. Le problème ne vient pas de l'écran lui-même, mais du moment où on lui confie des actions simples, répétitives ou urgentes, là où un bouton physique reste plus rapide, plus prévisible et moins exigeant pour l'attention.
Les écrans sont souvent accusés d'être dangereux car ils détourneraient l'attention du conducteur. Cet argument est séduisant, mais il est simpliste.
Un bouton mal placé oblige tout autant à détourner le regard. Chercher une commande au hasard, tâtonner, mémoriser des emplacements incohérents, tout cela existe depuis toujours. La distraction ne dépend pas du support, mais de la qualité de l'ergonomie globale.

Un écran bien conçu (ou plutôt l'interface) permet au contraire de réduire le nombre de manipulations. Il peut regrouper plusieurs fonctions dans un même espace logique, automatiser des actions répétitives et surtout hiérarchiser visuellement l'information. Certaines interfaces adaptent même leur affichage en fonction de la vitesse, en simplifiant l'écran à mesure que la charge de conduite augmente.
Un tableau de bord physique est statique. Il affiche la même densité d'informations, que l'on soit à l'arrêt ou à 130 km/h. Un écran peut se faire discret, épuré, contextuel. C'est une différence fondamentale.
Face aux critiques, certaines marques ont tenté des solutions intermédiaires, mélangeant écran et commandes physiques. Les Toggle Switch de Peugeot illustrent bien cette approche. L'idée est de rassurer, de maintenir un lien avec le bouton traditionnel. Le résultat est souvent bancal.

On se retrouve avec deux logiques qui cohabitent sans vraiment se compléter. Des boutons qui font doublon avec des menus, des commandes dont l'utilité devient floue, et une interface globale plus complexe qu'elle ne devrait l'être. Ce type de compromis ressemble davantage à une phase de transition qu'à une solution durable. A terme, soit le bouton disparaît, soit l'écran perd son intérêt. Les deux ne cohabitent jamais très longtemps de manière cohérente.
Un point souvent oublié concerne l'architecture même de la voiture. Un bouton physique n'est pas qu'un bouton. C'est une pièce, un contact mécanique, un faisceau, un connecteur, une tolérance d'assemblage, un point de panne potentiel. Multipliez cela par plusieurs dizaines de commandes, et vous obtenez un tableau de bord complexe, lourd et coûteux.
Un écran central bien pensé peut remplacer des dizaines de commandes physiques. Cela signifie moins de pièces, moins de cuivre, moins de plastique, moins de poids. Sur une voiture moderne, un faisceau électrique peut représenter plus de 50 kg. Toute réduction de la complexité matérielle a un impact direct sur le coût, la fiabilité et le bilan environnemental. Centraliser l'interface n'est pas seulement un choix ergonomique, c'est aussi un choix industriel rationnel.
Ce qui perturbe souvent les conducteurs, ce n'est pas l'écran en lui-même, mais l'incohérence de certaines interfaces. Un combiné numérique très moderne, un écran central évolué, et autour, des boutons hérités d'une autre époque. Ce mélange de paradigmes crée parfois plus de confusion qu'une rupture franche.
Le tout écran n'est pas une exagération futuriste. C'est souvent la solution la plus cohérente, car elle repose sur une logique unique. Une interface pensée comme un ensemble, évolutive, contextuelle, personnalisable. La demi-mesure est souvent plus déroutante que le changement assumé. Et comme on est tous habitués à utiliser des interfaces avec nos smartphones, cela devient plus naturel dans les voitures. C'est pour cela que Tesla et les Chinois respectent le formalisme des interfaces de téléphones sur leurs voitures.

Ceux qui utilisent quotidiennement des interfaces numériques comprennent intuitivement leur logique. Ils savent chercher une fonction, personnaliser un affichage, adapter un outil à leur usage.
L'automobile ne peut pas ignorer cette évolution. Elle s'adresse à des conducteurs dont les habitudes ont profondément changé. Refuser l'écran, ce n'est pas défendre une ergonomie supérieure. C'est refuser d'admettre que la voiture est devenue un objet numérique autant que mécanique.
La concentration des fonctions sur un écran pose malgré tout une question légitime, celle de la dépendance. Plus l'interface est centralisée, plus une panne d'écran peut devenir pénalisante. Dans l'absolu, c'est vrai. Si l'écran principal tombe en panne, une partie du confort et de l'ergonomie disparaît instantanément. Cela dit, on est loin d'un scénario catastrophe. Prenons l'exemple de Tesla, souvent citée comme incarnation du tout écran. En cas de défaillance de l'écran central, il reste possible de commander la marche avant et arrière via les boutons ou commodos de secours, situés au plafonnier pour les modèles récents sans commodos). Les fonctions vitales, comme les clignotants, les phares, les essuie-glaces ou le réglage du volume, restent accessibles depuis le volant ou les commodos. A cela s'ajoute la commande vocale, qui permet de gérer une partie non négligeable des fonctions sans interaction visuelle. Bien sûr, perdre l'écran reste très ennuyeux au quotidien, mais ce n'est ni paralysant, ni dangereux (pas très pratique pour ne pas dépasser la limite de vitesse certes). D'autant plus que ces écrans sont conçus pour être robustes, bien refroidis, protégés des vibrations, et qu'ils affichent globalement une bonne fiabilité dans le temps (ils ont été conçus en conséquence : ils sont vitaux donc particulièrement bien fiabilisés). Le risque existe, mais il est aujourd'hui anecdotique.

Les écrans comme interface ne sont pas une lubie moderne ni une dérive du numérique, ce sont simplement la manière la plus intelligente et la plus pragmatique de faire. C'est une évolution logique, presque mécanique. Dès lors qu'un système devient complexe, évolutif, et piloté par logiciel, il est parfaitement rationnel que son interface le devienne aussi. Et ce constat dépasse très largement l'automobile. Dans l'aviation, l'industrie, l'informatique, les télécommunications, partout où la densité fonctionnelle a explosé, les boutons fixes ont fini par être remplacés par des interfaces numériques. Non pas parce que c'était plus joli, mais parce que c'était plus souple, plus simple, et plus efficace.

L'intérêt fondamental de l'écran, c'est qu'il déplace l'intelligence dans la couche logicielle. Là où un bouton impose une fonction figée, un câblage dédié et une ergonomie définitive, une interface numérique permet de modifier, corriger, améliorer et faire évoluer les choses dans le temps. Elle autorise la personnalisation, l'adaptation aux usages réels, et la correction des erreurs sans tout reconstruire. Elle simplifie aussi matériellement la voiture, en remplaçant une multitude de commandes physiques, de faisceaux et de pièces spécifiques par un point d'interaction unique, plus rationnel industriellement.
Au final, l'écran ne complique pas la voiture, il la rend plus cohérente avec ce qu'elle est devenue. Une machine complexe, pilotée par logiciel, qui doit évoluer, s'adapter et rester pertinente dans le temps. Les écrans ne sont pas là pour faire moderne. Ils sont là parce qu'ils sont la solution la plus logique au problème posé. Et c'est précisément pour cela qu'ils se sont imposés partout, et qu'il était inévitable qu'ils finissent par s'imposer aussi dans l'automobile.
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